Ce n'est pas de la grande littérature, mais j'ai pris grand plaisir à lire ce faux "journal" du corps du héros, un homme dont on ignore pendant plus de 360 pages le prénom, mais dont on apprend beaucoup de choses sur ce qu'a vécu son corps entre le 28 septembre 1936 (12 jours avant ses 13 ans) et quelques jours après ses 87 ans.
Un récit avec des pauses, plus ou moins longues, par exemple durant les quelques années de guerre où il est au maquis. Par moment il est très bavard ce corps, ce qui nous vaut quelques morceaux de bravoure, par exemple lorsqu'il raconte sa grève de la faim (page 68 à 74), ou qu'il décrit ce qui précède le "passage de l'équilibriste"(pages 84 et 85), où il comprend avec plus de 40 ans de retard qu'il a été le seul à aimer le "raisiné" confectionné par Violette (pages 173 et 174) ou encore celui, terrifiant, d'une ablation, sans anesthésie, d'un polype nasal (pages 148 à 150).
L'homme qui raconte son corps est plein d'humour, un humour parfois noir comme lorsqu'il nous partage avec nous la dernière histoire que lui a raconté Tijo qu'il a vu naître et se meurt d'un cancer. Il y est question d'un très vieux sanglier qui s'étant résigné à quitter sa harde croise dans un champ plein de lumière un énorme cochon tout rose (pages 333 et 334)...
Il peut faire aussi preuve de beaucoup de tendresse à l'égard de ceux et celles qu'il a passionnément aimé(e)s: Suzanne qui l'a initié aux plaisirs de l'amour, la féline Mona pour qui il est devenu monogame, Nazaré qui, le temps d'une série de conférences à l'étranger, "réveillera" le vieil homme endormi, "Fanche" son ancienne chef de groupe du temps du maquis qui lui redonnera le goût à la vie, lui qui avait plongé dans la dépression après la mort de Grégoire, son petit-fils de 25 ans qu'il adorait.
L'extrait qui suit concerne Violette, la servante qui l'a élevé, sa mère de coeur car sa mère de sang ne faisait preuve d'aucune tendresse, d'aucun amour. Il a été malade et Violette l'a soigné:
" ...le meilleur des remèdes c'est de m'endormir dans l'odeur de Violette. Violette est ma maison. Elle sent la cire, les légumes, le feu de bois, le savon noir, la javel, le vieux vin, le tabac et la pomme. Quand elle me prend sous son châle, j'entre dans ma maison. J'entends bouillonner les mots au fond de sa poitrine et je m'endors. Au réveil, elle n'est plus là, mais son châle me couvre toujours. C'est pour que tu ne te perdes pas dans tes rêves, mon petit gaillard. Les chiens perdus reviennent toujours au vêtement du chasseur!"
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