samedi 16 juin 2012

Les vieilles Dames et la mort

La toute première, j'ai oublié son nom.  J'avais une vingtaine d'années et, sur fond la musique de Schubert "la jeune fille et la mort" j'écoutais les confidences qu'elle faisait à un journaliste (Daniel Mermet?). Après lui avoir montré quelques pièces de lingeries du début du siècle, elle lui avouait être toujours vierge à plus de 80 ans. Pourquoi? Parce que jeune femme célibataire au moment où la guerre 14-18 avait éclaté, elle était devenue trop vieille aux yeux des jeunes gens qui étaient revenus du front et avaient préféré les jeunes filles en fleur. Bientôt elle allait mourir et ne connaitrait jamais le plaisir de ne faire qu'un avec celui qu'on aime.

La seconde s'appelait Madeleine. Jeune fille elle avait obtenu un grand Prix de violon à Paris et avait vécu en donnant des cours de cet instrument. Puis la vieillesse était venue et l'isolement aussi car elle aussi n'avait aucune famille, mis à part un neveu qui ne venait guère la voir, notamment parce qu'ils habitaient loin l'un de l'autre. Mais elle échangeait beaucoup de lettres avec la femme de ce neveu: ma belle-mère. Du moins jusqu'où moment où Madeleine, devenue aveugle, a du dicter son courrier à sa femme de ménage, qui régulièrement demandait de bien vouloir l'excuser pour les fautes d'orthographes. Son dernier message, à peine deux lignes, date du début 1987, juste après la naissance de n°1. L'année suivante, ma belle-mère a eu de ses nouvelles de la pire façon qui soit. Quelques mois après lui avoir adressé ses voeux de "Bonne année", la Poste lui a retournée la lettre avec 3 lettres apposées sur l'enveloppe: "DCD".

La dernière se nommait Marguerite. Encore une vieille dame sans famille qui avait plus de 80 ans quand elle a connu ma belle-mère. Les deux femmes ayant sympathisé, Marguerite  avait montré de jolis dessins d'enfants, certains délicatement rehaussés de pastel, avant de les lui offrir après les avoir fait encadrer. Et puis elle avait disparu, comme peuvent disparaître en ville les personnes âgées qui n'ont plus de famille et dont les amis vieillissent. On se voit de moins en moins. Un jour on n'a plus de nouvelle et quand on cherche à se renseigner, il n'y a plus personne pour dire ce qui est arrivé à la gentille petite grand-mère qu'on croisait parfois dans l'escalier. Il ne reste de Marguerite que quelques lignes manuscrites au dos du cadre où les fragiles dessins ont beaucoup perdu de leurs couleurs.

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