vendredi 13 mars 2009

Gran Torino: violenceS et langageS

Il y a plusieurs manières de regarder "gran torino" le dernier film de Clint Eastwood.
En reprenant certaines phrases d'un commentaires parues sur un site ça donnerait ce qui suit:
"Un Américain, vieux, raciste, vétéran de Corée, n'aime pas sa famille, l'Eglise, ses voisins. Ce vieux con, (...) qui conserve religieusement ses citations et autres fusils et pistolets constate, effaré,qu'une troupe de "jaunes" prend possession de la villa voisine... Le fils de la famille Hmong (...) est harcelé par une bande asiatique, laquelle désire l'enrôler. Et lorsque, le jeune homme résistant, la bande devient plus menaçante et foule jusqu'aux plates-bandes du vieux, ce dernier sort l'artillerie lourde et disperse les voyous... L'ours redevient humain et la bande asiatique devenant beaucoup plus violente, il finira même en héros…"

Et puis on peut y voir d'autres choses comme toute une série de réflexions sur les violences et les langages

Les violences.
Il y a celles qui sont clairement visibles: les individus ou les bandes issues de différentes communautés qui s'affrontent verbalement ou en sortant les armes comme ultime argument, celui qui a la plus grosse ou semble le plus prêt à s'en servir ayant le dernier mot.
Mais il y a aussi les violences qu'on ne montre pas mais qui sont bel et bien là: Sue la jeune femme hmong qui, assistée par son voisin grincheux, a échappé à un premier viol collectif va l'être ensuite à cause de la réaction violente de ce dernier lorsqu'il voudra aider son frère Tao, et que Walt comprendra qu'en agissant comme il l'a toujours fait, il a fait une énorme con*** et ne peut rien dire sauf se défouler silencieusement contre les portes d'un placard de sa cuisine
Enfin il y a les violences insidieuses: celle des enfants qui, leur père devenu veuf, le cataloguent vite comme un vieillard à qui ils offrent une pince ramasse-objet, un téléphone à grosses touches et des prospectus pour résidences de personnes âgées, celle de la communauté qui a du mal à accepter que certains de ses membres sortent des schémas classiques (un homme qui jardine chez les Hmongs?) celle d'un homme qui constate à la fin de sa vie qu'il se sent plus proche d'un jeune voisin étranger que de ses propres fils.

Les langages
C'est à une extraordinaire ballade que nous invite le réalisateur sur le langage verbal et non verbal.
Il est réjouissant d'entendre tous ces tics verbaux et ces insultes qui pleuvent dans la conversation quotidienne, notamment entre hommes de différentes communautés et dont il est indispensable de comprendre les "subtilités" si on veut dialoguer avec l'autre, se faire accepter et respecter. On assiste ainsi à une mémorable leçon donnée à Tao sur la manière de s'exprimer des blancs américains qu'ils soient d'origine polonaise ou italienne avant que le jeune homme n'aille se faire recruter par un entrepreneur du bâtiment d'origine irlandaise. Ce qui est au passage un rappel de ce que sont les Etats-Unis: un melting pot.
Mais auparavant il y aura eu d'autres scènes qui illustrent le non verbalisé: au début du film lorsque Kowalski observe le comportement de sa famille lors de l'enterrement de sa femme ou plus tard lorsque Sue lui donne lors d'une fête familiale hmong quelques clés fondamentales sur son peuple: on ne regarde pas les gens dans les yeux, ils sourient même quand ils se font disputer et on ne caresse pas la tête d'un enfant car c'est là que siège l'âme. Ignorer ce genre de choses mène à une incompréhension réciproque.
Enfin il y a les silences tellement parlant: l'ancêtre chaman qui observe longuement Kowalski et devine son immense solitude mais aussi sa culpabilité par rapport à quelque chose qu'il a toujours caché (et qu'il finira par avouer à Tao) et surtout cet impressionnant silence qui s'installe entre le père et l'un de ses fils au moment où le 1er s'apprête à lui annoncer qu'il va bientôt mourir mais ne dira rien parce qu'il a compris que son fils n'a pas envie de l'écouter.

Un même film et au moins deux manières de le regarder car d'autres y verront d'autres choses. L'essentiel n'est il pas d'aller le voir pour s'en faire sa propre idée?

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Les films de Clint Eastwood sont souvent plus subtils qu'il n'y paraît: c'est pour ça qu'on peut les voir avec son homme, chacun y déployant sa trame de lecture... Je crois que je viens d'insinuer que les hommes ne sont subtils: je vais me faire des ennemis ;-)

@nn@ L. a dit…

:-]) l'allusion à la subtilité masculine parce les extraits du "résumé" proviennent d'un site tenu par UN internaute qui n'a pas aimé le film dont il n'a notamment retenu que ce genre de chose: "...Le gendarme du monde désire changer et élit un Noir à sa tête, mais conserve ses armes bien au propre dans le grenier… Gran Torino me déplaît parce que les armes sont omniprésentes. En voyant Kowalski, fusil en main, j'ai revu Charlton Heston, dans le film de Michael Moore "Bowling for Colombine"..."
Clint Eastwood a l'art de détourner certains classiques et cela depuis longtemps comme avec ce prêtre-justicier dans "pale rider".
Là il reconnaît d'une certaine manière que les personnages de flics qu'il a interprété se trompaient et que la réponse était sans doute dans la non-violence

Marwan a dit…

Il est vrai que Clint Eastwood n'a jamais été l'antithèse de Heston en ce qui concerne la NRA, en revanche, la simple élection d'Obama n'a pas fait disparaître du jour au lendemain les 250 millions d'armes des USA.
Parler de la société américaine, c'est effectivemment évoquer le melting pot, les rapports entre les différentes communautés, mais aussi son rapport avec les armes: vues comme vitales par une frange de la population, combattues par une autre frange, et regardées de façon neutre par l'écrasante majorité.

Je trouve bizarre de d'appuyer sur un point connu de la personnalité d'Eastwood pour juger un film, sachant que même les plus grands rôles de composition ou les scénarios puisent toujours un peu (parfois beaucoup) dans le vécu des acteurs, des scénaristes ou des réalisateurs...

@nn@ L. a dit…

Eastwood n'est effectivement pas Marwan l'antithèse de Heston. Il aurait même eu des propos assez durs au sujet de M. Moore, montrant bien là toute l'ambiguïté d'une partie des citoyens américains par rapport aux armes (fichu amendement de leur constitution .. je ne sais plus lequel, qui justifie de leur détention).

Dans ce film il se contente, une fois de plus, de regarder d'un oeil critique ce qui a été une bonne partie des rôles qu'il a interprétés, tout comme il l'avait fait dans "Unforgiven"'.

Au fait, le film s'arrête sur une image a priori heureuse mais qui m'a laissée assez perplexe. Tao et Sue après ce qu'ils ont vécu auront-ils les "armes" nécessaires pour continuer?

Marwan a dit…

C'est le 2e Amendement.

Le 1er étant le fameux garant de la liberté d'expression qui permet à des groupes (qui seraient interdits en Europe), de s'exprimer...

@nn@ L. a dit…

Merci Marwan pour ces précision :-)