dimanche 15 mars 2009

... Destins d'Hommes (7)...

Ce 15 mars 1924, il faisait beau ce matin là en Bretagne tandis qu'un couple plantait des pommes de terre. La femme dût cependant laisser son époux finir seul le travail car le sien, celui que seules les femmes peuvent faire, quoiqu'à l'époque le mot "subir" était plutôt la règle, surtout quand, comme c'était le cas ce jour-là, il s'agissait d'un premier enfant, commençait.

Un peu plus de 18 ans plus tard y pensait il le bébé devenu jeune homme qui avec ses parents n'avait pas hésité un seul instant lorsque, prévenus discrètement par les gendarmes du village, ils avaient compris qu'il devenait urgent de choisir entre partir au S.T.O. en Allemagne ou franchir la ligne de démarcation et s'engager dans l'armée.

Sauf que moins de deux mois après les Allemands supprimaient cette "frontière" et qu'il resterait longtemps sans pouvoir donner le moindre signe de vie à ses parents car il n'était pas conseillé à un "terroriste" de l'Armée Secrète d'envoyer la moindre lettre.

Ces forêts et ces bois ressemblaient-ils beaucoup à ceux où une bonne vingtaine d'années plus tard il amena la plus jeune de ses filles qui n'en finissait pas de se rétablir après une coqueluche qui l'avait laissée épuisée?

Si lui a oublié ce jour-là, pas elle. Il faisait beau et doux quand, profitant d'un jour de congés qu'il avait pris exceptionnellement, il lui a appris, dans une clairière baignée de soleil et qui sentait bon les arbres fraîchement coupés et la résine, à lire l'âge des arbres. Un geste qu'elle refera plus tard avec beaucoup d'émotions avec ses propres enfants.

Aujourd'hui, un cercle nouveau s'ajoute pour lui. Nombreux seront ceux de ses enfants et petits enfants qui lui téléphoneront. Il en sera heureux mais au fond de lui gardera un fond de tristesse car il sait maintenant combien comptait pour lui celle qui l'a accompagnée 60 ans durant et l'a quitté le 15 juin dernier.

6 commentaires:

Jean a dit…

Hier soir , mon épouse et moi avons regardé la pièce "La maison du lac " sur FR2 .
Nous sommes ensemble depuis 1961...
Sans nous concerter , nous n'avons pu nous empêcher de penser au moment où l'un de nous deux disparaitra ...

Anonyme a dit…

Merci @nn@ pour ce beau récit, très émouvant, et à Jean, aussi...
Gene

Anonyme a dit…

Belle pudeur de sentiment dans ce récit
Merci , Anna
Douceur du soir à partager

@nn@ L. a dit…

* Le thème de la séparation des couples du fait du décès de l'un d'entre eux, je l'avais déjà abordé Jean l'été dernier
http://un-chat-passant-parmi-les-livres.blogspot.com/2008/07/pause-10-et-se-perdre-un-jour.html
en citant ces mots d'André Gorz qui concluait ainsi sa "lettre à D."
«... Nous aimerions chacun ne pas survivre à la mort de l’autre. Nous nous sommes dit que si, par impossible, nous ­avions une seconde vie, nous voudrions la passer ensemble.»

* Gene, Arlette, je lui ai téléphoné tout à l'heure, et il était comme il est désormais depuis que ma mère n'est plus: lui le taciturne est devenu bavard et curieux des petits faits de la vie des autres comme si cette mort lui avait prendre conscience de l'importance du lien ô combien fragile qui nous relie les uns aux autres

Bonne soirée

Jean a dit…

"..«... Nous aimerions chacun ne pas survivre à la mort de l’autre. Nous nous sommes dit que si, par impossible, nous ­avions une seconde vie, nous voudrions la passer ensemble.»

Oui , c'est exactement , mot pour mot , ce que nous nous disons mon épouse et moi ....!

@nn@ L. a dit…

Qu'ajouter de plus Jean à ce que vous avez écrit?

Peut-être juste ceci: si vous n'avez pas lu le livre de Gorz, faites le. C'est une sorte de longue lettre, de long poème d'amour en prose d'un homme à la femme qu'il aime.
J'étais très fière d'avoir trouvé une photo d'eux qui illustrait fort bien à mon avis le lien qui les liait: côte à côte ils regardaient ensemble au loin. Tout un symbole