dimanche 22 décembre 2013

"Mauvais genre" de Chloé Cruchaubert

Encore une superbe BD, au dessin certes éloigné de la ligne claire chère aux amateurs de BD belge, mais qu'importe car elle fait la part belle aux ombres dans un joli nuancier de gris que viennent éclairer des taches rouges.
L'histoire? Elle est assez librement adaptée de celle de Paul Grappe et Louise Landy. Assez librement adaptée car si le vrai Paul Grappe, afin de ne pas retourner sur le front, s'est bien caché avant de se déguiser en femme, a fréquenté le Bois de Boulogne, a repris plus ou moins bien son identité d'homme une fois la loi d'amnistie concernant les déserteurs votée et a été tué tué par sa femme, la dessinatrice a été assez tendre avec lui . Si elle ne cache rien de ses problèmes avec l'alcool, elle minimise la violence dont il faisait preuve avec Louise et présente celle-ci comme beaucoup plus consentante, voire active, vis-à-vis de l'évolution de son époux et même de leur vie de couple.
En fait, le plus important dans cette BD n'est pas tant l'histoire de Paul Grappe que la manière dont la dessinatrice interroge ce qui caractériserait l'identité féminine... et par la même occasion l'identité masculine. Les deux pages de la BD choisies pour illustrer le présent billet sont révélatrices de cette évolution. 
Sur la planche de gauche, Paul qui a vécu de longs mois complètement reclus, vient de prendre les vêtements de sa femme afin de descendre acheter du vin. Ainsi déguisé, il se sent enfin libre. Mais comme le lui fera reconnaître sa femme le lendemain, à la lumière du jour, il ne ferait pas longtemps illusion. 
Sur celle de droite, il assume parfaitement sa vie nocturne au cours de laquelle sa bisexualité s'épanouit pleinement.
Il faut les regarder en n'oubliant à aucun moment ce que Louise a dit à Paul afin qu'il devienne plus facilement Suzanne: "Regarde les gestes...une femme ça doit être discret, tout en retenue... tu manipules les objets comme s'ils étaient très fragiles...tu bouges lentement comme si tu étais dans l'eau...tu fais comme si tu avais toujours un peu froid...tu poses ton verre sans faire de bruit" Et pour ce qui est de la manière de parler elle lui donne les indications suivantes "Fais comme si tu avais du miel dans la bouche."* En fait, on a là de superbes échos des comportements censés avoir hommes et femmes lors de leurs rencontres et qui sont brièvement mais superbement décrits dans les premières pages de la BD, lorsque Paul et Louise vont avec leurs ami(e)s respectifs se retrouver et danser au bal populaire. 
* De telles descriptions sembleraient excessives en ce début du XXIème siècle. Elles ne l'étaient aucunement un siècle plus tôt où la répartition des rôles entre hommes & femmes et les attitudes attribuées aux uns et aux autres était beaucoup plus tranchés.

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