Pendant longtemps, elles ont été associées au plaisir des séances de cinéma partagées avec les enfants. Je gardais les places et ils allaient en acheter à ce qui s'appelait "le bar" mais ne l'était plus depuis bien longtemps, depuis en réalité que cette ancienne salle de spectacle avait été transformée en salle de cinéma "arts et essais".
Parfois ils revenaient déçus car leur parfum préféré manquait, mais au bout du compte le plaisir était toujours là entre les gourmands qui essayaient de les croquer (très difficile), les patients qui faisaient toujours durer le plaisir le plus longtemps et les joueurs qui aimaient les sculpter avec le bout de leur langue.
J'aimais les jours suivants entendre les papiers crisser au fond de mon sac avant d'en extraire les petits bâtonnets collants qu'ils m'avaient fait passer à tâtons dans l'obscurité de la salle tandis que fascinés ils regardaient l'écran.
Et puis les enfants ont grandi, leurs goûts notamment cinématographiques ont changé et nous sommes allés au cinéma chacun de notre côté.
A la fin du mois de mai dernier, je les aies retrouvées ces sucettes. L'unité de soins palliatifs avait en effet suggéré un dimanche que, pour la changer des mini sucettes hydratantes parfumées au citron qui étaient proposées aux patients en fin de vie, l'une de nous en ramène afin qu'elle puisse absorber sous une autre forme un peu de glucose sans trop se déshydrater.
La première "chupa chups" je l'ai sucée sans aucun plaisir, juste pour l'accompagner tandis que j'étais à ses côtés. Elle avait très vite délaissé la sienne car elle commençait déjà à avoir trop peu de salive pour pouvoir longtemps les garder longtemps en bouche.
Un soir de juin, juste avant que je ne reprenne la route, parce que même si pour elle il y avait de nombreux jours déjà qu'elle n'était plus en état d'absorber le moindre repas, elle a tenu à ce que j'en prenne une pour la manger sur le chemin du retour. Sur l'aire de repos où la nuit finissait de tomber en croquant le dernier morceau j'étais en larmes.
Depuis... Depuis j'évite de regarder les comptoirs des buralistes ou des boulangers où je sais qu'elles trônent car alors tout devient flou.
Elle aurait eu 87 ans aujourd'hui.
5 commentaires:
Un détail fait parfois tout basculer.........
L'ironie de la vie se cache même dans une sucette...
* un "détail" qui sera long à oublier Arlette car non seulement j'ai désormais du mal à les regarder ces sucettes, mais la seule idée d'en manger une me rendrait malade.
Mais ça finira bien par se tasser. La preuve j'ai pu en parler.
* Et oui Verveinecitron, même une sucette aux teintes vives et à la saveur douce et sucrée peut cacher des parts d'ombre...
Ces douleurs-là ne sont jamais enfuies. Juste un peu enfouies au fil des ans. Et ce sont ces petits détails-là qui les ramènent brusquement à la surface.
Exact Myosotis.
Une collègue m'a raconté comment un jour, des années après la mort de ces parents, elle s'était retrouvée en larmes sur une route. Juste avant, elle avait eu un "flash" où elle s'était rappelée les nombreux trajets qu'ils avaient faits ensemble sur cette route là.
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