vendredi 18 juillet 2008

Traces d'ombres - Documents

Il y a eu ceux et celles qui ont constitué "le peuple de l'ombre" et ceux et celles qui, comme Robert Desnos, à la même période, sont devenues des ombres.
Consacrés à ces années, trois documents m'ont bouleversée: "Shoah", "Maus" et "Si c'est un homme"
Il y a d'abord eu le documentaire fleuve, "Shoah" de Claude Lanzmann, sorti en 1985.
Je l'ai vu, et même revu malgré sa diffusion à des heures souvent tardives. Sans doute à cause de cela, il me reste peu d'images en tête, souvent marquées par l'immense décalage entre la violence des paroles et le contexte où elles sont dites.
Ainsi cet homme qui, assis au soleil avec en arrière plan l'image paisible du lac Léman, raconte comment, moins d'une heure après être arrivé au camp avec sa jeune femme et son bébé de trois semaines qui avaient survécu à plusieurs jours d'un voyage éprouvant , ses compagnons lui avaient fait comprendre ce qu'il était advenu de sa famille en montrant la fumée qui sortait des cheminées.
Ou encore ce coiffeur de Tel-Aviv qui coupe tranquillement les cheveux d'un client, avant de ralentir ses gestes de plus en plus au fur et à mesure qu'il avance dans son récit et que l'émotion le submerge.
Ou enfin ce diplomate autrefois en poste à Varsovie, et qui avait été invité par des Juifs à visiter le ghetto avant qu'il ne soit évacué. Il doit s'y reprendre à deux fois puisqu'il craque et fuit la caméra, avant de pouvoir finir par raconter ce qu'il a vu, ce dont il a témoigné auprès des Alliés ... et qui n'a alors servi à rien.
Toutes aussi bouleversantes sont les petites souris auxquelles a recouru Art Spigelman, dessinateur underground dont je n'aime pas le graphisme habituel, pour raconter l'histoire de ses parents.
Les deux volumes de "Maus" ont été publiés en 1987 et 1992. Pour l'auteur, ce fut une sorte de thérapie vis-à-vis de sa famille, lui l'enfant né après la guerre et dont le frère aîné avait été empoisonné, comme d'autres jeunes enfants, par une de ses tantes afin qu'il échappe aux souffrances du voyage et de ce qui compte tenu de son jeune âge aurait été sa dernière destination: la chambre à gaz.
Des traits ronds et doux, avec assez peu de grisés, pour une histoire de la survie très noire racontée au quotidien dans un monde nazi. Survivre tient parfois à si peu de choses, comme par exemple avoir pu dénicher ce qui fera office de ceinture et laissera les deux mains libres pour ne pas perdre une seule goutte de ce qui fait office de soupe...
De l'importance de savoir d'organiser et du poids du hasard, tels sont aussi les deux leçons qui ressortent du livre de Primo Lévi: "si c'est un homme".
Avec aussi quelques constats terribles: par exemple que certains ont pu être d'une certaine manière heureux en tirant profit de leur faible degré d'humanité durant leur passage dans les camps. Avec aussi Mais quelques rares lueurs d'espoir comme trouver quelqu'un qui, parce qu'il a envie d'apprendre l'italien, vous oblige à ne plus être ce qu'on voudrait que vous devienniez, un "Undermensch" , tout simplement parce que soudain vous vous rappelez de phrases entières de "l'Enfer" de Dante.
Maintenant de tels témoignages sont entendus, mais en 1947 le livre de Primo Levi ne fut tiré qu'à 2 500 exemplaires, avant de commencer réellement à être connu dans les années 60. ..
Ne pas oublier, tel est le message contenu dans une poésie cité par Primo Levi en exergue de son livre:
Vous qui vivez en toute quiétude Bien au chaud dans vos maisons, Vous qui trouvez le soir en rentrant La table mise et des visages amis, Considérez si c'est un homme Que celui qui peine dans la boue, Qui ne connaît pas de repos, Qui se bat pour un quignon de pain, Qui meurt pour un oui pour un non. Considérez si c'est une femme Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux Et jusqu'à la force de se souvenir, Les yeux vides et le sein froid Comme une grenouille en hiver. N'oubliez pas que cela fut, Non, ne l'oubliez pas ...

4 commentaires:

Anonyme a dit…

De cette période barbare de notre histoire, il y a un documentaire et un livre qui, pour moi, la racontent mieux que tout.
Il s'agît de "Shoah" de Lanzmann (que vous citer) et de "La mort est mon métier" de Robert Merle.
Le voir ou le lire vous laisse un goût amer d'impuissance et de révolte face à tant de cruauté.

@nn@ L. a dit…

Bonjour Marwan,
Vous avez raison de citer ce livre que je n'ai pas lu mais dont une amie, très grande lectrice ayant une formation d'historienne, m'a dit le plus grand bien.
Elle en pense la même chose que vous.
Ce qui n'a fait que me conforter dans la conclusion de la partie du message que j'ai rédigé ce jour

Anonyme a dit…

A lire également "L'espèce humaine " de Robert Antelme ou la revendication forcenée de rester jusqu'au bout " des hommes " ainsi qu' un court récit trouvé , par hasard ,et qui m'a interpellé " Après nous vivez " de Didier Bazy . L'auteur , qui n'a jamais connu l'expérience des camps ose imaginer aussi loin qu'il est possible ,l'inimaginable , dans un acte de création, difficile et violent.
" Regardons en face les morceaux de papier retrouvés. Gardons les traces des témoins. Ils écrivent au silence. Après nous, jamais plus de déluge. Après nous , vivez " sont les derniers mots de cet opuscule.

@nn@ L. a dit…

Merci Alix pour ces références.

Pour en savoir plus sur le livre "l'espèce humaine" de Robert Antelme:
http://www.gallimard.fr/catalog/bon-feuilles/01001115.htm
et son auteur:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Antelme