mardi 24 juin 2008

Destins de Femmes (1) Changer de nom pour oublier une autre vie

Il est blessures d'enfances dont il est parfois difficile de guérir. Deux femmes notamment l'ont fait, chacune via l'écriture, et ce n'est qu'il y a moins de 18 mois que j'ai su qu'elles étaient soeurs. Il s'agit de Anne Sylvestre et de Marie Chaix, filles de Albert Beugras qui fut pendant l’Occupation le bras droit de Jacques Doriot à la tête de son parti fasciste. Pour les personnes qui comme moi sont nées plus de 15 ans après la fin de la seconde guerre mondiale, ce nom ne dit plus rien sauf à être particulièrement féru en histoire. De même on conçoit mal l'ambiance qui a pu être celle qui a régné durant ces années d'après-guerre, notamment pour les enfants de ceux et celles qui n'avaient pas fait "le bon choix". Marie Chaix a d'une certaine manière exorcisé cette enfance via son premier livre "Les lauriers du lac de Constance", sous-titré Chronique d’une collaboration (Points-Seuil). Anne Sylvestre elle a longtemps tu ou plus exactement esquivé cette enfance, notamment dans son livre d'entretiens menés par Monique Detry intitulé "Pour de vrai" et paru en 1981 aux éditions du Centurion Cette enfance, il a fallu attendre son dernier disque "bye mélanco" pour qu'elle l'aborde un peu, même si on en trouvait déjà un écho dans une autre de ses chansons beaucoup plus ancienne et beaucoup moins connue que ses chansons engagées (mais je reparlerai un jour plus longuement de cette femme) "l'enfant qui pleure au fond du puits"
L’enfant qui pleure au fond du puits Sans qu’on veuille l’entendre L’enfant qui pleure avait promis De garder le cœur tendre x L’enfant qui pleure avait gardé Tous les soleils tous les étés Goûté l’eau de tous les ruisseaux Volé avec tous les oiseaux Elle savait aimer si clair Elle pouvait aimer si vrai Que l’amour même le plus fou Devait fleurir à ses genoux x L’enfant qui pleure au fond du puits A rêvé de merveilles Pour pas l’entendre moi je fuis Me bouchant les oreilles Elle avait des sourires d’eau Des rires fleurs des rires chauds Elle avait des larmes de blé Et quand elle retenait l’été Elle attendait d’autres moissons D’autres envols d’autres saisons Qui lui défroisseraient le cœur Qui lui feraient pousser des fleurs x L’enfant qui pleure au fond du puits Possédait les nuages Se tressait des nattes de pluie Pour ses dimanches sages Quand elle parcourait les champs Une colchique entre les dents Niant que ce fut un poison La plante lui donnait raison Quand elle déclarait au vent Restez vous êtes mon amant Elle était libre et croyait bien Pouvoir courir tous les chemins x Nous avons chacun notre puits Où meurt un enfant tendre Nous l’entendons pleurer la nuit Sans jamais bien comprendre Nous abandonnons l’enfant Nous faisons trois pas en avant On nous décore on nous dit oui Maintenant vous êtes guéris Et nous découvrons le bonheur Une étagère pour le cœur Le vent se calme et les étés Recoïncident avec juillet x L’enfant qui pleure avait promis De garder le cœur tendre Surtout ne murer pas le puits Il est temps de l’entendre
On ne dira jamais assez le pouvoir des mots pour soulager les maux. Un psychiatre a magistralement illustré ceci dans un livre petit en épaisseur, mais dense de toute une vie. Post-Scriptum La revue Télérama n° 3035 du 19 au 25 juillet consacre 4 pages à un interview croisé entre Anne Sylvestre et Marie Chaix

5 commentaires:

arlette a dit…

Hello
Je n'avais jamais fait le rapprochement entre ces 2 femmes Bravo pour cela
pas très dégourdie en informatique je vais vs envoyerl'article et mon mail si je peux
curieusement vs êtes avec Maria D très proches ds la conception de vos blogs ...........AA J'aime bien

Anonyme a dit…

Changer de nom comme on change de masque. On avance toujours masqué dans la vie. c'est, je crois, Cocteau qui faisait cette remarque.
Il y a le regard que l'on porte sur soi et le regard des autres qu'ils portent sur vous. L'image du père se trouve ainsi troublée par la superposition de ces images multiples dans l'esprit de l'enfant. On peut être un "bon" père chez soi et un brigand dans la rue. Faut-il pour autant se croire obligé de porter la responsabilité de l'image pervertie de l'autre? Vaste problème que le devoir de mémoire.

@nn@ L. a dit…

"Changer de nom comme on change de masque. On avance toujours masqué dans la vie..." écrivez-vous Pierre

Combien sommes-nous finalement de "bloggeurs" à avancer masqués derrière un pseudo...
Et je ne parle pas des "bloggeurs clandestins" comme se qualifiait un jour une internaute pour laquelle il semblait bien que même ses proches ignoraient cette activité :-)

Anonyme a dit…

Oh ! la la !! Comme cette note est touchant et émouvante... j'ai lu "Les lauriers du lac de Constance" de Marie Chaix il y a déjà bien longtemps... et cela ne me rajeunit pas... je fus profondément troublée par ce livre... j'en ressens encore ce goût amer dans la bouche... merveilleusement bien écrit sans haine, ni gloire... pour ce père...
Je ne savais pas que ces deux grands talents étaient soeurs ... je comprends mieux maintenant certaines choses...
Merci @nn@ pour cette belle note

@nn@ L. a dit…

Maria, je n'ai pas lu de livre de Marie Cheix. Encore un document de plus à lire :-( Pourquoi les journées sont elle si courtes...
Vu l'heure où j'écris ceci je peux désormais marquer: Bonne journée à vous (rires)