vendredi 31 octobre 2008

... au livre: "Chamelle"

En fait le film "si le vent soulève les sables" c'est la mise en images du livre « Chamelle » de Marc Dugain, paru aux éditions du livre de Poche, livre qui commence ainsi « si le vent soulève au loin les sables et en fait des volutes, c'est que l'eau manquera bientôt partout (...)». Ce livre je l'ai acheté après avoir vu le film. En voici certains passages.
Sur ce que pense Rahne, le père de famille qui était instituteur, au début du voyage:
« (...) La route se lit facilement entre les dunes de terre blanchies, les acacias posés dans le paysage comme de grands oiseaux noirs et les rochers ronds aux reflets de métal. J'ai fait le seul choix réfléchi. (...). Les autres courent à leur perte. Comment leur expliquer que j'ai longtemps enseigné les méandres de la géographie, le lent mouvement des continents, la rigueur des saisons, les jeux subtils des vents, et les caprices des pluies? Je connais tout cela, conforté par quatorze années de vie au contact de ces savanes alternativement vertes ou desséchées. (...). Pourquoi ne m'ont-ils pas écouté? Sans doute, à cause de leur méfiance envers les hommes passés par la ville. Ou envers ceux qui lisent. Ou les deux à la fois. Incultes, ils agissent en incultes. Je ne peux pas leur en vouloir (...) »

... et après avoir marché de nombreux jours dans le désert

« (...) Tout mon bien est là, autour de cet arbre. Comment, en traversant quarante-quatre saisons identiques, ai-je pu amasser si peu? J'aurais pu me débrouiller pour avoir aujourd'hui cent, deux cents, ou même mille chèvres.(...) Mais qu'aurais-je de plus avec cent ou même mille bêtes? Je porterais autour des os une graisse épaisse au lieu d'être décharné comme aujourd'hui. Cependant je resterais de viande et d'os, ma cervelle allant pareillement pourrir un jour sans que ces mille chèvres y puissent rien. Ma vie se tend chaque jour comme une peau douloureuse mais au moins elle m'apporte en consolation la conscience de moi, du temps, de Dieu, des miens. Dans les pays d'opulence, il paraît que les hommes s'assoupissent. Ils ne se réveillent qu'à l'heure de mourir, avec un sentiment de terreur absolue, leur existence soudain plus nue que tous nos déserts.(...) »

Et ce que pense Mouna, la femme de Rahne après avoir croisé dans le désert une équipe ONG qui leur a donné un peu d'eau et les a filmés avant de repartir: « (...) Beaucoup trouvent dans l'observation du malheur d'autrui un sentiment intense de satisfaction pour leur propre existence, même d'une insondable médiocrité. Mouna a sa fierté, elle ne veut pas apporter, elle qui n'a rien, un sentiment d'aise supplémentaire à ceux qui ont tout. (...)" ... et de la femme qui chapeaute l'équipe ONG « (...)Elle n'est pas venue sauver des existences, mais quelque chose d'infiniment plus noble et abstrait, la vie. Pour cela, deux vaut mieux qu'un, cent que dix, mille que cent. La loi des chiffres fait que Mouna, moi et les enfants ne sommes qu'un échantillon de misère. Une raclure de vie(...) »
Et puis de nouveau ce que pense Rahne après que sa femme et ses fils soient morts: "J'avais trois fils. C'était mon bien le plus précieux. Il ne me reste qu'un fillette sur un chameau. C'est ce qu'a voulu Dieu, je n'y suis pour rien. (...) Une fille, c'est une projection de la mère, cela vit dans son ombre, subit les mutations compliquées d'un corps qui un jour se fend et pleure du sang, un corps auquel le père reste toujours étranger, vaguement inquiet. Puis elle se marie et disparaît avec elle ses mystères. (...) (...)la gêne entre nous avait disparu, tout était devenu plus facile. Tout père en confrontation directe avec sa fille n'a sans doute pour seule solution que de la faire rire ainsi (...) »
Et sa conclusion à la fin de l'histoire, après avoir été sauvé de justesse par une équipe ONG
« (...) une ombre derrière moi mit la main sur mon épaule. C'était mon voisin Dukka l'ami, le frère qui s'était vainement opposé à mon départ vers l'est, et que je croyais mort depuis longtemps. (...) Vibrant, je lui racontais ce qu'avait été notre voyage (...). Puis je me tus, n'osant prendre des nouvelles de ceux du village, que je croyais tous disparus. Il me considéra, sans un mot. Puis, il se mit soudain à m'apostropher, d'un ton bas, contenu; - Tous les habitants du village sont ici, Rahne. (...) Sains et saufs (...) Tu as pris la mauvaise route. Il fallait aller au sud. Tu t'es cru plus intelligent que nous. A supposer que tu aies eu raison, Rahne, ton devoir aurait été de te tromper avec tout le monde. Dans la misère, l'homme isolé est toujours perdant, quelque voie qu'il prenne (...) »

2 commentaires:

cailloublanc a dit…

Touchée aussi... Infiniment par cette Afrique si proche, si proche... Merci @nn@ pour ces belles références, explications, citations... Et pour la recherche des photos...
A tout bientôt
Gene

@nn@ L. a dit…

Comme quelques autres films/livres, Gene, ceux-ci méritaient bien deux commentaires, histoire notamment de donner envie au moins de lire le livre (parce que d'ici à ce qu'un tel film passe à la télévision...)
Au fait j'ai oublié de signaler un élément horrible du livre. Cet instituteur, c'est la 2ème famille qu'il perd: la 1ère c'est lorsqu'il vivait en ville et qu'il a du fuir la répression politique en laissant derrière lui femme et enfants qui seront emprisonnés et dont il a perdu la trace.

Pour les photos j'ai eu la chance de tomber sur un site où il y en avait plein, le plus difficile a été de choisir (rires)