" C'est l'histoire d'une photo qui aurait pu rester à jamais enfouie dans un carton. En mars 1938, Willy Ronis se rend aux usines Citroën-Javel pour le magazine "Regards".De retour chez lui, il effectue rapidement une sélection de ses photographies et l'envoie au magazine, sans retenir cette photo, qui est sous-exposée. Puis il l'oublie complètement.
Ce n'est qu'à l'occasion de la parution du livre Sur le fil du hasard en 1980 qu'il passe en revue tous ses négatifs et retrouve cette photo, qu'il décide de publier. De son village de l'Orne, une femme de 80 ans, Rose Zehner, reçoit un appel de sa cousine qui l'a reconnue sur cette photo, reproduite dans l'Humanité. Elle écrit à Willy Ronis, par l'intermédiaire du journal : Je puis vous dire que cette femme avait 35 ans et qu'elle vit toujours car c'est moi-même et j'en ai 80.
Ainsi va commencer une relation épistolaire et téléphonique entre Willy et Rose. Et en 1982, quarante-quatre ans après la photo, sera organisée et filmée la rencontre entre Willy Ronis et Rose Zehner, dans l'ancien bistrot de Rose "Où vat-on ? Chez Lulu et Rosette", non loin de l'usine Citröen. Patrick Barberis en tirera le film émouvant, "Un Voyage de Rose", où la vieille dame, qui n'a rien perdu de sa verve ni de son humour, déroule son histoire et ses combats, entourée d'Henri Alekan et de Francis Lemarque, anciens compagnons de lutte. Orpheline à l'âge de 9 ans, devenue ouvrière très jeune, licenciée en raison de sa trop "grande gueule", puis classée "à l'encre rouge partout", "connue comme le loup blanc", la syndicaliste se révèle un personnage de roman.
C'était un personnage fabuleux raconte Willy Ronis.
J'ai parlé comme ça tout-à-trac, et à partir de ce moment, j'oubliais que ça tournait, j'oubliais les lumières, j'étais polarisée sur elle, c'était l'émotion. Quand j'ai entendu "Coupez", je me suis tourné vers Patrick, et j'ai demandé : Mais, est-ce qu'on doit recommencer, est-ce que c'est fini? Quand j'ai vu le film, à la fin j'ai pleuré. L'année suivante, Rose Zehner sera invitée aux Rencontres internationales de la photographie d'Arles, où elle sera acclamée par le public."
Extrait de Virginie Chardin, Paris et la photographie. Cent histoires extraordinaires, de 1839 à nos jours, Parigramme, 2003
4 commentaires:
tiens, moi aussi, je pensais que c'était Doisneau, le petit garçon à la baguette.... Je ne connaissais pas Ronis, merci de me le faire découvrir :-)
J'ai souvent regardé les photos de Willy Ronis dans leurs immédiatités : Les trois silhouettes des enfants en capuchons noirs, comme une estampe ou le nu en provence ... on dirait un tabeau de Bonnard
Un beau regard sur la vie
Merci pour la chanson d'Anne Sylvestre qui m'a inspirée un article différent à la suite de la douce rêveuse en son jardin !!!!
mon histoire en est plus riche
Quelle joie de lire ce billet sur ce photographe que j'aime particulièrement... Merci @nn@
* J'avais aussi été fort surprise myosotis en lisant son nom sur l'affiche chez le boulanger et puis je l'avais oublié, jusqu'au moment où "le Monde" a parlé de son décès.
* Tiens les trois petites silhouettes des enafnts en capuchon noir ça ne me dit rien Arlette. Vous pouvez me l'envoyer en "off" si vous l'avez quelque part en archives?
* Rédiger ce billet a pour moi cailloublanc l'occasion de découvrir qu'il existait ce courant photographique dont le travail des membres me plaît beaucoup et dont l'état d'esprit me semble aux antipodes de celui d'un Helmut Newton dont les créatures ne sont que des objets
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